6.6.12

Les beaux détours

Le soleil se couche lentement sur la ville et je roule vers son centre avec un client chaud qui crache sa haine incendiaire sur les étudiants et tous ces sales gauchistes qui font de l'ombre sur sa vie.

Devant moi, un petit camion blanc clignote à droite depuis cinq coins de rue. Je me demande ce que je vais manger plus tard. Des bruits de casseroles se font encore entendre ici et là.

Mon passager continue son discours que je n'écoute plus. Je fais des "hums" et des "hahans" pour entretenir ses idées arrêtées et tente de garder le taxi en mouvement.

Le temps est doux et les couleurs dans le ciel sont magnifiques. Sur un arrêt, je laisse passer une jeune femme qui arbore un carré rouge et un grand sourire. Je lui file un clin d’œil et laisse mon regard s'attarder un moment.

Un peu plus loin devant moi je vois des centaines de gyrophares et je songe que mon passager qui soliloque toujours, aimerait sans doute voir des manifestants se faire tabasser. Je tourne adroitement à gauche.

Quelques rues plus loin, je réalise que c'est le tour de nuit. Ce soir ce ne seront pas les étudiants qui vont me faire faire de beaux détours, mais les vélos. Je partage l'info avec mon passager qui n'en avait pas besoin de tant pour rajouter tous les cyclistes dans sa liste de nuisances merdiques.

Son impatience m'indiffère au plus haut point. Le compteur, contrairement au taxi continue de rouler. Sur un balcon, j'observe un couple de personnes âgées qui profitent des douceurs de ce début juin. Les effluves d'un grand lilas me font respirer un bon coup. Je me sens bien.

L'énervé réalise finalement après une dizaine de minutes que ça ira  plus vite à pied. Comme depuis le début de la course, je ne le contredis pas et lui dis que je suis désolé pour lui. Il ne comprend pas l'allusion.

Je prends par la première ruelle et m'esquive rapidement de ce bouchon. Je monte le son de la radio, une guitare électrique crache son blues dans un crépuscule urbain.

J'anticipe déjà les beaux détours que la nuit me proposera.