23.11.11

Luminothérapie

J'ai l'humeur aussi grise que le temps qu'il fait. La soirée a été aussi ordinaire que d'habitude et les conversations à bord du véhicule tout aussi dépouillées que les arbres de la ville.

Faut dire que je n'y mets pas trop du mien. Surdose de jasage météorologique et tout le monde sait que les conditions déroutent. J'ai bien failli m'énerver quand cet indigné des indignés bien blotti dans son pardessus en mohair puant le vieux cigare s'est demandé pourquoi les forces antiémeutes n'avaient pas encore fait le ménage au carré Victoria. J'ai continué de rouler en écoutant ses idées bien arrêtées.

Et j'ai roulé et encore roulé dans des rues aussi cabossées que mon âme.

À la lumière au coin de Mont-Royal et de Saint-Denis, je m'arrête derrière trois autres taxis tout aussi inoccupés que moi. C'est alors que je la vois.

Derrière la vitrine du restaurant Fameux Smoke-Meat, encadré par un montant de la devanture et deux dos qui lui font face, cette femme est là, assise sur une banquette, assise dans un éclairage qui met sublimement son visage en valeur. Mon regard s'y jette comme un papillon de nuit dans les phares d'une auto qui roule pour nulle part.

Elle regarde les gens assis devant elle, mais elle ne les écoute pas. Elle est là, mais elle est ailleurs. Elle rêve. Je le devine à son regard vaporeux, à son sourire énigmatique. Ça dure quelques secondes, ça dure une éternité. J'ignore où ses pensées se sont accrochées, mais assis dans l'obscurité de mon taxi, je regarde ce visage empli de rêves et de lumière et me mets à rêver à mon tour.

Et la lumière a changé.

8.11.11

Vladimir le taximan

Ma nuit est terminée et je sors de l’épicerie 24 heures sur Mont-Royal quand un taxi s’arrête à ma hauteur.

- Yo c’est toi le chauffeur qui écrit des livres?

- Comment ça que tu sais ça?

Je suis surpris, car je tente de rester discret sur ce que je fais en dehors du taxi. Mis à part quelques collègues qui travaillent au même garage que moi, je parle rarement de mes activités littéraires. Bref.

- C’est payant faire ce que tu fais me demande-t-il?

- Pas assez pour lâcher ma job de nuit. Faut aimer ça...

Il se penche avec son i-phone à la main et me montre un site sur lequel il sévit. Trop fatigué de ma nuit pour m’en faire une bonne idée, on échange nos coordonnées et je lui dis que je vais jeter un œil là-dessus.

Je viens de passer une grosse heure à me régaler des petits bouts de films qu’il prend de ses passagers, des confessions qu‘il recueille de ceux-ci. À la fois drôle et impertinent, Vladimir nous laisse monter dans son taxi et nous invite à prendre place virtuellement sur la banquette arrière.

Force est d’admettre que la magie de la ville et de la nuit a encore frappé et que Vladimir le taximan en est remarquablement inspiré.

Allez le saluer de ma part.

2.11.11

Halloween

Cette fin de semaine d’Halloween était du pur bonbon pour les chauffeurs de taxi. Le froid qui l’accompagnait ne pouvant tomber mieux, surtout que certains costumes étaient loin d’être adaptés au nordet.

Comme ces deux filles bien en chair de poule de luxe, mini-jupes, bas résille et le reste à l’avenant. Gros lots grelottants, direction un bar sur Saint-Laurent où les femmes ne vont généralement jamais sans leurs déguisements.

Et ces deux autres en uniforme des forces de l’ordre version cuir. Matraques et menottes en sus. Elles se rappellent leurs prises de l’Halloween précédent. Je devine qu’il a dû y en avoir beaucoup d’autres au fil de l’année. Certains déguisements en dévoilent plus qu’ils n’en cachent.

Un groupe y a mis la gomme et la somme. Des costumes achetés à grand prix, des maquillages de pros. Leurs conversations tournent autour de l’argent investi et du prix du compteur.

Dans la rue un type dans un costume de pénis frotte ses grosses gosses sur l’asphalte.

Deux zombies empêchent de tomber une jeune femme dont le teint vert n’a rien à voir avec le maquillage. Cette année, elle a troqué les bonbons pour la boisson. Vu son état, elle doit avoir des caries. Évitant les débordements, je refuse de les faire monter à bord.

Une des rares passagères a grimper dans mon taxi sans déguisement m’a avoué qu’elle était comédienne...

Une sorcière monte à mes côtés. Je devine que c’est pour ne pas être avec l’étrange homme des tavernes qui s’écroule sur la banquette arrière. Au fil du parcours, la passagère m’ensorcelle en chantant la toune de Nirvana qui joue à la radio. Je resterai sous le charme le reste de la nuit.

Une femme sans costume s’engueule sans retenue au téléphone. J’ai l’impression que l’interlocuteur passera un mauvais quart d’heure. Roulant sur l’autoroute 13 en direction de Laval, je suis plutôt content que son conjoint ait fait le con. On se retrouve dans un nouveau développement de parvenus et dépose ma passagère au coin des rues Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir! La mascarade la plus improbable de la soirée.

Les fermetures de bars ont été pour le moins extatique. Je me suis retrouvé sur la « Main » à 4 heures du matin et il y avait encore tellement de clients en attente que ça en était effrayant. Mon client n’avait pas encore quitté le taxi que déjà on se tiraillait autour du taxi pour pouvoir prendre sa place. Un pirate frappait dans ma fenêtre avec ses bagues. Difficile de masquer le crétin sous le maquillage.

En ce qui me concerne, je me suis déguisé en chauffeur de course pour la majeure partie de la fin de semaine. Privilégiant la quantité au profit de la qualité, j’ai tourné les coins ronds, fait des dépassements sur la droite, brûlé quelques feux et roulé beaucoup trop vite. Je vais sans doute me déguiser de la même façon l’année prochaine.