14.2.11

Seins valentin

J'attends devant un club dans le Vieux-Montréal où se trouve un groupe de fumeurs lorsqu'un homme sort de l'endroit en mettant son manteau. Il monte à bord, me donne une adresse dans le nord de la ville et s'empare de son téléphone.

— Salut chérie, je sors du club là.

— ...

— Ouain j'le sais, chuis dans le taxi là, ça ne devrait pas être trop long, mon chauffeur est déchaîné!

Il dit cela en me filant un clin d'oeil, il a bien vu que je l'observe en douce dans mon rétroviseur.

—...

— Mais oui moi aussi, moi aussi, j'm'en viens là beubé. Ça ne sera pus bien long.

Il raccroche, pousse un soupir et me demande si je suis marié.

Je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails que son téléphone sonne et je m'amuse encore une fois à deviner ce que dit son interlocuteur.

—...

— C'est hors de question que je retourne là man, j'suis dans le taxi j'm'en vais rejoindre Mylène.

—...

— J'pense-tu que j'le sais pas? T'es fou man! Pas les deux?! Mon crisse toé!

—...

— Hahaha! En tout cas, mords-y pas un sein, des plans pour qu'elle explose!

En louvoyant entre les répliques et les véhicules, je ne peux m'empêcher de rire à mon tour.

— Mon chauffeur y'a trouve papire itou, en tout cas tu me raconteras tous les détails. T'es ben mieux. OK j'te laisse là dessus. Fait attention à toi mon vieux pis encore bonne fête!

—...

— Ben non man ! Pas un mot sa game! T'inquiète pas. OK! A+

Quand il raccroche, je lui demande si son chum part sur une baloune...

— T'aurais du voir les bimbos siliconées qui y avait là. J'comprends pas encore ce que je fais dans ton cab.

Il me raconte alors sa soirée. Un souper de fête pour les 40 ans d'un chum. Après le resto direction le club où après une heure les femmes fatiguées décident de rentrer. Elles ne sont pas sitôt partie que deux blondes perpendiculairement modifiées font leur apparition dans le club et se mettent en tête de ramener le jubilaire et mon passager dans leur bungalow de Brossard pour continuer le party.

Il me raconte ça avec une espèce de je ne sais quoi dans le regard. Quelque chose à mi-chemin entre le regret de ne pas y être allé et la fierté d'avoir été fidèle à sa femme. À moins que ce ne fût la fierté d'être encore capable de s'attirer les faveurs de jeunes poulettes.

Pour le conforter dans sa décision, je lui dis que c'est un beau geste d'amour qu'il vient de faire.

— Penses-tu?

— J'pense que ta femme a eu son cadeau de la Saint-Valentin sans le savoir.

Le sourire qu'il m'a offert en quittant le taxi en disait long. Il valait bien des pourboires.