27.11.08

État d'Urgence

L'hiver s'en vient, sentez-vous la soupe chaude?

La saison froide ne fait à peine que commencer qu'une bonne partie de mes passagers se sont mis en mode chialage. Que la vie semble pénible pour bon nombre d'entre eux. J'ai beau me montrer le plus compatissant possible, je ne peux m'empêcher de penser, qu'ils ne feraient pas long feu s'ils étaient forcés de vivre dans la rue. Je ne peux m'empêcher de penser à ceux qui y sont déjà.

Ce week-end à la Place Émilie-Gamelin, L'ATSA installe son 10e camp de réfugiés urbains pour les sans-abri.

Allez-y faire un tour. Je vous assure qu'ensuite, votre hiver sera pas mal plus doux...

24.11.08

Petite vite

Les quatre parlent en même temps et sont déchaînés. Ils me demandent de les amener à un petit hôtel sur Saint-Denis. Ce n'est pas très loin, mais la Catherine est envahi par les taxis qui attendent en double et je vais devoir me battre pour l'espace. Pour le moins pompette, une des filles me dit sans nuance que tous les chauffeurs de taxi conduisent mal. Ça n'en prend pas plus pour que les trois autres s'en mêlent en me sortant toute une liste de préjugés. Ils s'amusent à mes dépens et je n'en fais pas trop de cas. Je vois bien qu'ils sont venus en ville pour triper et je ris avec eux. Devant le club de danseurs nus 281, quatre taxis attendent stoppés en double. J'en profite pour changer de voie et monter le son de la radio. Le type assis à côté de moi décide de le remonter encore plus sans me demander. D'un signe de la tête, je lui fais savoir que c'est OK, je me remets dans la voie de droite et accélère juste ce qu'il faut pour passer sur la jaune au coin d'Hôtel de Ville. Je dépasse ensuite quelques autos en changeant encore de voies, passe sur une rouge pâle au coin de Sanguinet, coupe une petite Honda modifiée et accélère de nouveau pour pouvoir prendre la lumière de Saint-Denis. Il y a une file dans la voie de droite qui attend pour tourner. Je continue dans la voie du centre et tourne au dernier moment en dépassant tout le monde et poursuis ma course jusque devant l'hôtel où je freine en bloquant les roues. Je baisse le son de la radio et me retourne en souriant vers la pompette qui ne trouve plus rien à dire. Le type à côté de moi me paye généreusement et unanimement le groupe me proclame le meilleur chauffeur en ville. De zéro à héros en moins de cinq minutes.

20.11.08

Au Salon!

Cette année encore, j'ai la chance de participer au Salon du Livre de Montréal. Une occasion privilégiée pour moi de vous rencontrer. Si vous êtes dans le coin, venez faire un petit tour. Ça me fera plaisir de vous piquer une jase! Pis si c'est juste Mère Indigne qui vous intéresse, ben tant pis pour vous nous serons là ensemble! ;-)

Au plaisir.

Horaire :

Samedi 22 novembre : Entre 16h et 17h
Dimanche 23 novembre : Entre 13h et 14h

(au stand Dimédia-Septentrion 474)

17.11.08

Brumes automnales

10.11.08

Marie

1H30 dans la nuit de samedi à dimanche. La soirée n'a pas été très bonne, mais je ne désespère pas, la fermeture des bars approche et déjà je sens que le vent est en train de changer. J'attends patiemment derrière une série d'autos au coin D'Ontario et de Saint-Hubert. J'observe les fumeurs devant le Cheval Blanc. Dans les visages, je constate que les bières artisanales de l'endroit font leurs petits effets. Je souris en songeant aux fois que je m'y suis accroché les pieds. Je me dis aussi que je serais dû pour y retourner question de voir de quoi ça a l'air depuis qu'ils ont agrandi.

De l'autre côté de l'intersection, une femme avec un bras levé à mon intention me sort de ma rêverie. M'arrêtant à ses côtés, il me suffit d'un seul coup d'oeil pour savoir qu'elle n'est pas dans son état normal. Quoique la normalité dans ce secteur-ci de la ville dans le milieu de la nuit, c'est toujours bien relatif. C'est peut-être à cause de ses vêtements de cotons défraîchis, de ses yeux noirs bavant de mascara ou encore du langage de son corps, mais je sens avant même qu'elle monte à bord que cette course sera spéciale.

Le parfum bon marché qu'elle porte empeste rapidement l'habitacle et couvre à peine l'odeur de coke qu'elle exsude. C'est dur de lui donner un âge, mais son corps affiche des années d'abus. Elle me demande poliment de la conduire dans le quartier Villeray et ajoute anxieuse :

— 20 piasses, ça va tu être assez pour se rendre là?

— Inquiétez-vous pas madame, c'est en masse bon.

À la manière dont elle se tortille sur la banquette arrière, je présume que sa nervosité n'a rien à voir avec le prix de la course et comme de fait, ça ne fait pas deux minutes qu'elle est dans le taxi qu'elle me demande si elle peut emprunter mon téléphone. Je sais bien par expérience que ce n'est pas pour appeler sa mère. Je compose le numéro pour elle et lui tends l'appareil.

— Allo Beubé? C'est moé ... C'est moé! ... Viens me voir! ... Chez nous!... Allo?... ALLO? Ah ben tabarnaque! Y'a raccroché l'estie! Veux-tu rappeler au même numéro me commande-t-elle.

Je n'apprécie pas trop le ton de sa requête, mais je m'exécute patiemment.

— Y'a fermé son téléphone l'estie d'enfant de chienne!

Je l'entends qui soupire. Je l'entends même réfléchir. Nous sommes presqu'à demi parcours lorsqu'elle me demande si je lui ferais un « deal» pour faire un détour jusqu'à Hochelaga-Maisonneuve pour revenir ensuite à sa destination première. Elle me propose 30 $. C'est une bonne course, mais je suis inquiet du temps que je devrai attendre pendant qu'elle fait ses « petites commissions » et je refuse d'emblée. Je la sens quelque peu dépassée par les événements et finalement après quelques secondes, je décide d'accepter sa requête à la condition qu'elle me donne tout de suite l'argent. Je lui demande aussi de ne pas me faire attendre plus de cinq minutes là-bas, sinon je pars. Elle accepte mes conditions, me donne 30 $ et je file vers l'Est à toute vitesse.

En prenant par les petites rues pour éviter le plus de lumières possible, ça me prend que quelques minutes pour me rendre dans le bas de « HoMa». La femme reste plutôt tranquille pendant le trajet. Elle fredonne sur la musique dont j'ai monté le volume. À destination elle me demande de l'attendre près d'une ruelle juste au nord de Sainte-Catherine. Avant de s'y engouffrer, elle me dit de ne pas en profiter pour m'en aller. Je la rassure, mais lui rappelle quand même les cinq minutes que je lui accorde.

Pendant que j'attends, j'entends un couple plus loin qui se dispute. Devant moi, un gros matou pas achalé traverse lentement la rue. J'avale ce qui me reste de café. Il est froid. Le répartiteur se fait plus pressant dans ses appels, deux heures approche, l'action va vraiment commencer. Les cinq minutes s'écoulent et la femme ne réapparaît pas. Je reste quand même bon prince et décide de lui en octroyer un autre. Même si c'est à mes dépens, je me sentirais mal de la laisser derrière.

Je la vois enfin ressortir de la ruelle et redémarre le taxi. Elle remonte à bord et je file de nouveau vers Villeray. Je n'ai pas un coin de fait, lorsque bafouille :

— Beubé? Beubé? Bé?

Pendant deux secondes, je ne réalise pas que c'est à moi qu'elle s'adresse. Je la regarde dans mon rétroviseur et lui demande ce que je peux faire pour elle.

— Allume ta lumière, chéri!

Je vois dans ses yeux et dans sa voix qu'elle n'est plus tout à fait dans le même état qu'il y a dix minutes. J'ignore ce qu'elle a pris pendant que je l'attendais, mais elle ne semble plus réagir à l'attraction terrestre. Je ne sais pas ce qu'elle cherche, mais toujours patiemment, j'allume le plafonnier et continue de clencher vers le Nord pour en finir avec cette course. C'est alors que la femme me crie par la tête :

— J't'ai dit d'allumer ta lumière!

Je suis extrêmement patient, mais j'ai quand même mes limites. Déjà que je lui fais une faveur, il est hors de question que je me fasse crier après. Je lève ostensiblement le pied, baisse le son de la radio et lui dit :

— T'as l'air d'être quelqu'un qui respecte le monde toé!

—...

— T'arrêtes de me crier après parce que je te débarque icitte, c'est-tu assez clair?

Je déteste faire le « boss de bécosse», mais je n'ai pas non plus à accepter ce genre de comportement. Je sais bien que la femme n'est pas dans son état normal, mais je sais aussi que si je ne lui mets pas les points sur les I, son délire va continuer de s'amplifier, et c'est moi qui vais en subir les contrecoups. J'ouvre la fenêtre de mon côté et l'air froid qui entre dans le taxi accompagné de mes remontrances ont tôt fait de remettre la cliente à sa place. Je vois bien dans son regard de chien triste qu'il y a une partie d'elle qui est accroché à un réel sordide et une autre partie qui est complètement déconnectée de la réalité. Elle marmonne toute seule et finit par dire :

— J'suis folle! Est-ce que vous pensez que je suis folle?

Encore un peu frustré, j'acquiesce inaudiblement, mais ajoute plus fort que ce n'est pas à moi de le dire ou pas.

Pendant le reste du parcours, je sens bien qu'elle cherche une certaine rédemption. Je reste de glace.

— T'es fâché chéri? me demande-t-elle à quelques reprises.

Je dénote de réels regrets dans le ton de sa voix, et je finis par me décoincer un peu.

— On est tout dans le même bateau tsé? Me dit-elle pathétiquement.

— Regarde, c'est correct, je ne t'en veux pas.

Finalement, les derniers kilomètres ont été plutôt sympathiques. Juste avant d'arriver à destination, elle me dit que sa mère a accouché d'elle dans un taxi! Je suis on ne peut moins allumé par son anecdote et même la course terminée, je reste avec elle pour qu'elle finisse de me raconter l'histoire de sa naissance au coin de Parc et Van Horne. L'histoire d'une mère venant de perdre ses eaux, qui n'est pas capable de rejoindre le père et qui décide de se rendre à l'hôpital en taxi...

— C'est pour ça que j'aime les chauffeurs de taxi me dit-elle avant de sortir de l'auto.

Je lui ai tendu la main pour lui signifier que je ne lui en voulais plus et je lui ai demandé son nom. J'avais encore une fois l'impression de ne plus être avec la même femme que dix minutes plus tôt. M'offrant sa main et un sourire un peu bizarre elle m'a dit :

— J'm'appelle Marie.

Avant qu'elle ferme la porte du taxi, je lui ai souri à mon tour et je lui ai lancé :

— T'es pas folle Marie!

Et j'ai continué ma nuit.

5.11.08

Cercle de lecture

Ce jeudi soir, je serai à la librairie Monet dans le cadre d'une rencontre avec le cercle de lecture de l'endroit. Venez faire un tour si le coeur vous en dit. La rencontre débute à 19h00.

4.11.08

Des blocages

C'est avec la main encore un peu meurtrie que j'ai repris la route. Ironiquement, le patron m'a loué le taxi que je j'avais le soir de l'accident. Une belle façon de conjurer le sort. J'ai retrouvé la ville dans le même état que je l'avais laissée. Des travaux, des rues barrées, des détours et encore des détours. Mais j'étais quand même content de la retrouver même si elle aussi semble un peu meurtrie.

Alors que je descends lentement vers le sud dans l'heure de désapointe, je songe que j'ai désormais entamé ma 17e année de métier. Mentalement, je tente de calculer approximativement le nombre de kilomètres que j'ai pu parcourir dans ce laps. Je me demande combien de fois j'ai fait le tour de la terre en tournant en rond sur mon île quand mon téléphone sonne. Pendant un moment, je crois que c'est l'Une qui veut réitérer son attraction. C'est plutôt ma soeur Chantal qui m'annonce l'hospitalisation de maman. Bloqué dans une congestion infernale, j'apprends qu'elle souffre d'une occlusion intestinale.

Inquiet, je tente en vain de me sortir de ce capharnaüm urbain pour aller vers l'hôpital de ville LaSalle. Je suis coincé dans ce qui deviendra la cité des spectacles. Pour l'instant, il est plutôt désolant. J'arrive difficilement à l'intersection de Sainte-Catherine et de Bleury et je suis abasourdi de voir qu'on a rasé le vieux Spectrum. Je m'y attendait, mais voir ce vide, me remplit de nostalgie.

Lentement, je me faufile et parviens à faire de peine et de misère quelques kilomètres vers l'ouest. C'est comme si une tempête de neige s'abattait sur la ville, ça n'avance pas. J'ai beau me ronger les sangs et les freins, je reste paralysé. Je réagis à peine lorsqu'un homme prend place à bord. Il veut que je le conduise au Centre Bell et je réalise que Les Canadiens jouent ce soir. Ça explique en partie ce trafic débile.
Roulant sur De Maisonneuve, je constate qu'un autre lieu mythique montréalais va passer sous le pic des démolisseurs. La disparition du Ben's Delicatessen ajoute à ma tristesse.

Près de deux heures plus tard, j'arrive enfin au chevet de maman qui est d'une pâleur inquiétante. Ça s'est bloqué là dans son abdomen. Plus rien ne passe. Ce n'est pas la première fois que ça lui arrive, mais c'est préoccupant. Si l'obstruction persiste, va falloir qu'elle subisse une chirurgie. Rien de bien grave pour certains, mais quand t'as perdu ton père suite à une opération de routine qui a mal tourné, les raisons d'être anxieux se précisent. Malgré le soutien et les encouragements, les regards sont lourds de sens et pas besoin d'être pendant la semaine de l'Halloween pour avoir la peur au ventre.

Les heures sur la route furent longues cette semaine. Heureusement, quelques heures avant l'inexorable, les intestins de maman se sont débloqués.

Les rues de la ville quant à elles...